Béatrice Lacombe

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Notices pour les séries en lien avec le palais des papes d’Avignon, 2024
De Béatrice Lacombe

Dans ces œuvres réalisées en reflet de la Papauté en Avignon au XIVème siècle, je donne ma réponse au sentiment d’une somptuosité archaïque et à la verticalité de l’édifice massif. Je questionne aussi le mélange entre le profane et le religieux et la combinaison/mixité des formes créées par artistes et artisans. En effet, les neufs papes français installent une cour fastueuse et raffinée à l’intérieur des murs du Palais dont une très grande partie est peinte selon l’exceptionnel savoir-faire italien en matière de fresque. Avignon représente le foyer de diffusion de l’art italien et aussi le premier où les ferments du style gothique international s’élaborent. L’installation des institutions de la papauté et de ses cardinaux, les grands aménagements entrepris pour leur faire place et le rayonnement intellectuel de la cour papale font alors d’Avignon un foyer d’art éclatant. La flore est omniprésente dans les traités de botanique de la bibliothèque, dans les vergers du pape et dans les éléments sculptés de l’architecture ogivale.

La technique employée pour la série Clef est le monotype d’encre aquarelle (à la différence d’encre grasse qui sert en gravure et lithographie). Leur forme symbolise la réunion des clés des armoiries papales et du trait crénelé des fortifications. Les couleurs s’apparentent à celles des fresques des chapelles et de la chambre du cerf : pigments du langage coloré utilisé au trecento par les siennois (Simone Martini, Matteo Giovannetti, pictor pape) et par les primitifs de l’École d’Avignon. Terre verte, bleu de lapis lazuli, sienne naturelle, émeraude et sinopia…Cette polychromie participe au caractère de l'enchantement médiéval. Le liant de la peinture est une colle de peau (selon d’anciennes recettes) permettant matité et fraicheur du coloris.

Autre travail d’encre sur papier, la série Pinacle présente de manière originale l’élément phare de l’architecture gothique.  Élancée, cette flèche pyramidale de pierre hérisse verticalement l’espace au sommet. En technique de Grisaille et quasi monochrome, le lavis amène transparence et fluidité lumineuse en révélant la dentelle de pierre. Autre mise en lumière, la richesse de l’ornement sculpté exprime une grande préciosité (lierre, rose, chardon, crosse végétale, fleuron…).  Dans l’Avignon médiévale, la nature est omniprésente et la bibliothèque des papes témoigne de l’intérêt grandissant porté à la botanique : d’ailleurs l’arc d’ogive du style gothique n’est-il pas né de la courbure des arbres ?
Les tons d’oxydes métalliques réalisent avec l’encre une sorte d’écoulement de rouille et matérialisent la pierre et la sévérité qui lui est propre.

Pour la troisième série nommée Graal, j’ai retenu l’élément terre, adama en hébreu, matière avec laquelle a été créé Adam, premier homme. Il s’agit aussi d’une tempera mais composée cette fois par l’adjonction d’oxydes colorants. Elle s’inspire des sols du Palais faits de céramique lustrée « verte et brune », véritable trésor de petits carreaux des pavements chatoyants de la salle du studium de Benoit XII. On la nomme céramique des papes.
J’ai imaginé ces natures mortes de poteries ; simplement disposés, cruches, pots et gobelets d’argile à panse trapue figurent la vaisselle des papes. Loin de l’amoncellement des objets de vanités flamandes du XVIIème siècle, ils apparaissent dans une certaine nudité de l’espace avec sobriété et raffinement de la couleur blanche du papier. Un trait d’épure rythme la forme et trace un motif décoratif lacunaire et archaïque. Une poterie culinaire humble, témoin de l’aube de l’humanité : l’apparence modeste de ces objets du quotidien est cependant mêlée aux couleurs chatoyantes et limpides. Autrement, frêle clair-obscur et matité de la terre glaise s’associent pour parler du clinquant des émaux. Je me suis servie de couleurs par analogie avec la technique de la céramique verte et brune : même coloris diapré par la poudre métallique (verts de cuivre et noirs-mauves de manganèse). Cette palette se limite à quelques tonalités.

C’est un langage coloré réduit et tout à la fois en recherche de « lustre » pour parler de splendeur et de « faste ancestral » à la cour des Papes.

Béatrice Lacombe

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